Le 18 septembre 1982, le monde apprend l’effroyable massacre d’enfants, de femmes et de personnes âgées, de malades, grabataires parqués dans le camp de Sabra et Chatila. L’armée israélienne était aux commandes. Des milliers de morts.

Le 19 septembre, Jean Genet, qui n’avait rencontré qu’une seul fois, secrètement, Yasser Arafat, dix ans auparavant, accompagné de Leila Shahid (alors présidente de l’Union des étudiants palestiniens, et qui, plus tard, sera déléguée générale de l’Autorité palestinienne en France, ambassadrice de Palestine auprès de l’Union européenne, de la Belgique et du Luxembourg), pénètre dans le camp de Chatila. Les cadavres jonchent le sol. Partout, l’horreur. Durant quatre heures, il sillonne le camp. «J’enjambai les morts comme on franchit des gouffres», écrit-il. Moins d’une semaine avant, exactement le 14 septembre, Béchir Gemayel, tout nouveau Président du Liban, est assassiné. Le soir même, l’armée israélienne entre à Beyrouth et encercle le camp. Le piège se referme sur des milliers de Palestiniens. Le 15 septembre, le dispositif est en place, et du 16 au 18 septembre 1982, durant plus de 40 heures, près de 3.000 Palestiniens sont torturés, assassinés d’une horrible manière. Même les cadavres n’échappent pas à la furie. Jean Genet écrit Quatre heures à Chatila. Un témoignage glaçant qui sera publié en janvier 1983 dans La Revue d’études palestiniennes.
«Une femme y fut crucifiée alors qu’elle vivait encore. Je vis son corps les bras écartés couverts de mouches partout, mais surtout aux dix bouts des deux mains : c’est que les dix caillots de sang coagulé les noircissaient ; on lui avait coupé les phalanges.»
Le numéro 11 de Politis-El Moudjahid du mois de septembre 2022 revient sur ce crime. L’article est signé par Abdelaziz Sebaa. Nous reproduisons ci-dessous des extraits (Politis-El Moudjahid étant disponible en accès libre sur notre site) :
«Le massacre, il y a quarante ans, des réfugiés palestiniens des camps de Sabra et Chatila, à Beyrouth, est un crime contre l’humanité demeuré impuni. Un dossier classé, pour l’armée israélienne, comme un simple incident de parcours. Retour sur un nettoyage ethnique, exécuté à l’ombre des chars israéliens, par les forces du parti phalangiste libanais. Et sur une guerre qui aura profondément modifié l’échiquier moyen oriental. Le 16 septembre 1982, à la tombée de la nuit, les miliciens du parti phalangiste de Pierre Gemayel se glissent dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila à Beyrouth Ouest. Dans leur folie meurtrière, ils n’épargneront personne. Ni femme, ni enfants, ni vieillards. Pas mêmes les animaux domestiques. Ils se relayeront, durant trois jours et trois nuits, sans discontinuer. Ce n’est qu’au troisième jour, après que quelques personnes ont pu quitter les camps pour donner l’alerte, que le monde découvrira l’ampleur du massacre. On dénombrera plus de trois mille morts. Les journalistes ont décrit des scènes d’horreur insoutenables de bébés, d’enfants découpés au couteau, de femmes enceintes éventrées. Une barbarie inimaginable s’était abattue sur les deux camps, ou de ce qui en est resté après, pratiquement, trois mois de bombardements et de pilonnage intensifs de la ville par l’armée israélienne.

Ce n’est que le 18 septembre que le monde entend parler de ce massacre.

C’est sous l’œil bienveillant des soldats israéliens que les phalangistes feront, selon l’expression d’un responsable israélien, «leur part du boulot» dans l’opération d’éradication de toute présence palestinienne au Liban. Les assassins bénéficieront de l’appui logistique d’unités de l’armée israélienne qui faciliteront leur mouvement par les tirs de fusées éclairantes pour leur baliser le chemin. Contrairement à ce qui avait été convenu, l’armée israélienne est entrée à Beyrouth Ouest, dès la sortie des combattants de l’OLP, le 31 août. Elle avait installé des postes de contrôle, un peu partout à travers la ville, et particulièrement autour des camps.
Le «Plan Habib», du nom de son négociateur Philippe C. Habib, émissaire des États-Unis, avait prévu, dans son point cinq, «le déploiement d’une force multinationale le jour du début de l’évacuation». Dans son point sept, il avait précisé que «le mandat est d’un mois renouvelable à la demande de l’État libanais». Cette limite de mandat, dans le temps, a été une exigence du gouvernement israélien, pour prévenir tout risque de voir des combattants palestiniens tirer profit de la présence de cette force et ne pas quitter la ville. S’agissant des «palestiniens non combattants qui demeureront à Beyrouth», ils seront, selon le point quatre de l’accord, «soumis à la législation libanaise…
La création de micro-États, sur des bases confessionnelles, et leur multiplication au Moyen-Orient, étaient, du point de vue des théoriciens du sionisme, la meilleure garantie pour la pérennité de l’État israélien. La région s’y prêtait, car certains pays qui la composent sont une véritable mosaïque culturelle et religieuse. Cette diversité a été vécue, à travers les siècles, comme source de richesse et de stabilité. Et c’est la rupture de cet équilibre, au sein de ces sociétés, par le sionisme, accentuée par d’autres idéologies, comme on le verra dans les années de la fin du siècle dernier, qui sera à l’origine de la faillite d’États dans la région… »

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